La Corse n’est pas la
Nouvelle-Calédonie. Fort bien. Elles sont même très différentes. Tellement différentes
que l’une peut se séparer de la République – un référendum sur l’indépendance
est prévu cette année - et pas l’autre. Or comment justifier ce traitement
différencié ? Bien sûr, nous connaissons la réponse juridique. Le droit
international prévoit pour les peuples colonisés un droit à disposer d’eux-mêmes.
Et la Constitution de la Ve République a intégré cette disposition de droit
international. Masi c’est plutôt la question du fondement démocratique et moral
de la réponse précitée qui a attiré mon attention dans cette bousculade entre les
agendas politiques corse (autonomiste) et calédonien (référendum sur l’indépendance) :
quelle est la raison qui doit nous incliner à penser que ce qui est
démocratiquement légitime dans un cas ne le serait pas dans l’autre ? Il
convient de s’intéresser à la conception de la nation que nous chérissons en
démocratie, la conception libérale, dite aussi « civique », pour
comprendre que nous sommes là face à une contradiction.
C’est à Renan, mille
fois cité et convoqué dès qu’il est question de nation, que revient l’honneur d’avoir
trouvé un fondement démocratique et volontariste (le consentement) à l’appartenance
nationale, par opposition au fondement ethnique ou culturel. On se souviendra
que Renan raisonnait – d’une manière certes un peu opportuniste - à propos de l’Alsace
et de la Lorraine, territoires de culture allemande, mais dont l’appartenance
nationale devait reposer, disait-il, sur la volonté des populations concernées.
L’Alsace et la Lorraine devaient pouvoir décider de leur appartenance
nationale, car c’est la volonté des citoyens qui doit primer en démocratie.
Nous reconnaissons bien là la conception de la nation que nous chérissons,
comme je le disais, dans les démocraties libérales. Or, qu’est-ce que l’on voit
quand on essaie de comparer l’attitude de la République à l’égard des revendications
calédoniennes et corses ?
D’une part, la
République montre son visage le plus libéral et démocratique dans la gestion
des revendications calédoniennes. Les Calédoniens veulent disposer d’eux-mêmes
et il n’est pas question qu’ils restent rattachés à la République contre leur
gré : voilà qu’on met en place une consultation référendaire qui devrait
permettre à la population concernée d’exprimer soit son attachement à la nation
française, soit sa volonté de créer un Etat indépendant. Jusque-là, tout se
passe selon la bonne logique libérale de la conception civique ou volontariste
de la nation.
D’autre part, la République
fait montre de rigidité à l’égard des revendications corses. Comme le rappelait
Manuel
Valls, aujourd’hui les nationalistes demandent la coofficialité du français
et du corse, mais « dans quinze ans, ils se considéreront en droit de
demander une consultation sur l’indépendance ». En bonne logique
démocratique, la question pourrait être : et alors ? Et surtout :
pourquoi ce qui est accepté dans un cas (Nouvelle-Calédonie) ne le serait pas dans
l’autre ? Pourquoi la volonté de la population concernée devrait être écoutée
dans un cas et pas dans l’autre ? J’insiste : ce n’est pas la réponse
juridique précitée qui m’intéresse, mais le fondement politique, idéologique ou
moral qui soutient ce traitement juridique différencié. Car, à y regarder de
près, quelqu’un de malicieux pourrait penser que ce qui se cache au fond derrière
cette attitude n’a rien de bien libéral ou renanien, mais renverrait plutôt au
fondement ethnique de l’appartenance nationale : une population
géographiquement éloignée de la France, dont la composition et les mœurs sont
considérées différentes, pourrait se voir accorder le droit d’exprimer
démocratiquement son souhait de s’organiser en tant qu’Etat séparé ; alors
qu’une population plus proche géographiquement, dont la composition et les mœurs
seraient jugées comme étant bien françaises (Manuel Valls encore : « La
Corse n'est pas la Nouvelle-Calédonie! La Corse est une île méditerranéenne
profondément française », la
Nouvelle-Calédonie, faut-il comprendre, le serait moins ?), n’aurait
pas le droit de s’exprimer sur son appartenance à la nation.
Nous pouvons tourner la
question dans tous les sens et chercher dans le refuge légal (le droit
international et la Constitution) toutes les excuses que l’on voudra, mais si
la volonté des populations qui composent une nation n’est pas systématiquement
prise en compte lorsque des demandes nationalistes ou indépendantistes émergent,
il faut alors dénoncer la conception civique ou libérale de la nation comme étant
une supercherie et souligner cette contradiction démocratique : les
populations peuvent s’autodéterminer à raison de leur profil ethnique
différencié (ou considéré tel), mais elles ne le peuvent pas si leur volonté d’autodétermination
n’a pas une base ethnique. Une insupportable contradiction.
No hay comentarios:
Publicar un comentario