RT France: Artur Mas, selon vous, souhaite-t-il réellement l'indépendance de la Catalogne ?
Jorge Cagiao y Conde: Oui. Je pense
qu'il faut s'enlever de la tête qu'Artur Mas est ici dans un jeu
d'artifice. Il vise l'indépendance réelle de sa région. Il le dit
clairement. Il est vrai que l'on a eu quelques doutes au début en 2012
sur son positionnement idéologique et sur ses intentions effectives. A
l'époque, certains disaient qu'il voulait juste négocier, un meilleur
statut fiscal ou plus de reconnaissance pour la Catalogne. Et c'était
sans doute vrai. Mais devant le «non» ferme de Mariano Rajoy -le chef du
gouvernement espagnol- la machine s'est mise en route. Et on voit mal
aujourd'hui comment cette bombe pourrait être désamorcée.
RT France: Comment expliquer cette fin de non-recevoir adressée par Madrid à Barcelone ?
Jorge Cagiao y Conde: C'est culturel ! L'Espagne a
historiquement une position très rigide. Elle a tendance à se raidir dès
que l'on touche au symbole de la nation. Il existe en réalité un
nationalisme espagnol très fort. Au Royaume-Uni et au Canada, les
gouvernements étaient également très opposés à une possible indépendance
de l'Ecosse et du Québec, mais ils se sont dits "laissons d'abord le
peuple s'exprimer". En permettant la tenue de référendums sur ces
questions (le «non» l'a emporté à chaque fois!), ces gouvernements ont
eu une attitude progressiste, à l'écoute des revendications nationales.
De ce point de vue-là, le nationalisme espagnol est beaucoup plus
archaïque, il est d'un autre siècle. Et c'est ce positionnement-là qui
rend la négociation entre ces deux nationalismes -catalan et espagnol-
presque impossible à l'heure actuelle.
RT France: Justement jusqu'où peut aller cet affrontement entre Madrid et Barcelone ?
Jorge Cagiao y Conde: Il y a ici beaucoup
d'incertitudes et pas mal d'étapes à franchir. Déjà, il y a ce scrutin
en Catalogne qui doit se dérouler fin septembre, et puis il y a à la fin
de l'année les élections générales en Espagne. Ce que l'on sait en
revanche, c'est qu'il est peu probable que le prochain gouvernement
espagnol ait, comme l'actuel, une majorité absolue. Mais quelle que soit
l'alliance qui sera au pouvoir en Espagne dans les mois à venir, il est
fort à parier que cette dernière ne se montrera ni faible, ni molle,
lorsqu'il s'agira de régler le problème catalan. Parce qu'en Espagnol,
le nationalisme espagnol n'est ni de droite, ni de gauche, il est
transversal. Néanmoins, si ce sont les socialistes qui sont aux
affaires, on peut imaginer qu'ils essaieront de gérer cette affaire
d'une manière plus «douce» que les conservateurs.
RT France: Madrid a-t-elle réellement des raisons de s'inquiéter, les Catalans peuvent prendre leur indépendance ?
Jorge Cagiao y Conde: Malgré un soutien très
important du peuple Catalan, les nationalistes ne sont en fait pas très
riches en moyens. Lorsqu'il s'agira de passer à l'acte, ils vont avoir
quelques difficultés. Que peuvent-ils faire concrètement ? Eh bien, déjà
déclarer leur indépendance et voir ce qu'il se produira. Si le
gouvernement espagnol enclenche l'article 155 de la Constitution ou la
nouvelle loi sur la sécurité nationale, on peut imaginer qu'il y ait de
fortes crispations, qu'il y ait un climat électrique voire des faits de
violence. On peut imaginer tout cela, mais que restera-t-il au lendemain
? En Espagne, certains donnent un ton dramatique à ce qu'il est en
train de se passer avec la Catalogne. Alors qu'au point de vue du droit,
tout est parfaitement maîtrisé par l'Etat. L'Etat a tous les leviers
juridiques à sa disposition pour empêcher une indépendance réelle de la
Catalogne. Par ailleurs, Madrid a aussi le soutien de la majorité des
autres Etats. Les puissances internationales regardent avec méfiance ce
qui se joue en Catalogne car c'est l'intégrité territoriale d'un état
démocratique qui est en jeu. Aujourd'hui, c'est l'Espagne, mais demain,
ce sera peut-être la France, les Etats-Unis ou la Belgique. Le seul
moyen de ne pas en arriver là, c'est la négociation.
RT France: Mais négocier sur quoi selon vous ?
Jorge Cagiao y Conde: Comme je l'ai déjà dit, le
gouvernement espagnol demeure très crispé sur cette question catalane.
Mais si Madrid accepte effectivement de venir à la table des
négociations pour céder quelque chose, comme un statut fiscal différent
pour la Catalogne ou une réforme constitutionnelle allant dans le sens
d'une meilleure prise en compte des revendications catalanes, je pense
qu'il y aurait des chances de satisfaire les nationalistes catalans pour
un certain temps.
RT France: Comment analysez-vous alors, la radicalisation du mouvement indépendantiste ?
Jorge Cagiao y Conde: Tout a démarré en 2005-2006
avec la réforme statutaire de la Catalogne proposée par ses
représentants (sur la reconnaissance symbolique de la Catalogne, sur la
notion de nation et sur plus d'autonomie). Ce texte aurait justement
contenté le nationalisme catalan pour les vingt prochaines années. Mais
après avoir été largement «brossé», amendé, par les parlementaires
espagnols de Madrid, il a fini par être carrément retoqué par le
Tribunal Constitutionnel en 2010. Cet arrêt a en fait douché les espoirs
des nationalistes catalans et les a radicalisés.
RT France: Que se passerait-il pour la Catalogne si elle
finissait par obtenir ce statut d'indépendance, notamment vis à-vis de
l'Union européenne ?
Jorge Cagiao y Conde: Soyons prudents, c'est ici de
la politique-fiction. Mais il existe deux scénarios possibles. Le
premier, et le moins probable au vu de l'attitude du gouvernement
expagnol, est celui de l'indépendance négociée avec l'Espagne. Dans ce
cas de figure, on peut penser que la Catalogne intègrerait l'UE au mieux
tout de suite, et au pire au bout de 3 ou 4 ans. L'Europe n'a pas
intérêt à perdre un bout de territoire, qui plus est aussi riche comme
la Catalogne. Mais dans le cas d'une indépendance déclarée
unilatéralement par la Catalogne, on peut être à peu près certain que
l'Espagne posera son véto à une intégration de la région à l'Union.
Aussi, une sécession non-négociée de la Catalogne signifierait
probablement une sortie de l'UE avec ensuite un gros point
d'interrogation. En ce moment, c'est surtout difficile pour la
Catalogne, l'Espagne, elle, peut dormir sur ses deux oreilles. Car la
Catalogne a un vrai Himalaya à franchir !
"Aussi, une sécession non-négociée de la Catalogne signifierait probablement une sortie de l'UE avec ensuite un gros point d'interrogation. En ce moment, c'est surtout difficile pour la Catalogne, l'Espagne, elle, peut dormir sur ses deux oreilles. Car la Catalogne a un vrai Himalaya à franchir !"
ResponderEliminarIl est clair que la partie est loin d'être gagnée pour la Catalogne, mais ce scénario avec une Catalogne hors de l'UE à 100% me semble inversemblable. la catalogne hors de l?UE n'a plus rien à perdre, donc aucune obligation d'assumer sa part de dette espagnole, qui grimperait d'un jour à l'autre à 130% du PIB. Quid des milliers d'entreprises et ressortissants européens installés en Catalogne?