Parmi
les différentes conclusions à tirer des référendums écossais et catalan (ce
dernier annoncé pour le 9 novembre) on peut en retenir deux : 1) l’attachement
des Écossais et des Catalans à l’Europe, qu’ils ne veulent pas quitter ;
2) un attachement tout aussi fort à leur auto-gouvernement, qu’ils veulent
accroître dans les deux cas. En somme, rien qui puisse choquer un fédéraliste.
Et pourtant…
Le
moment est à la crise et appelle d’urgence une réflexion sur le fédéralisme
dans le contexte « déjà fédératif » européen. Ici et là, les
fédéralistes européens demandent une Europe plus démocratique et plus forte, un
gouvernement central plus fort, ce qui - nous explique-t-on - devraient aller
sans heurter l’autonomie des États-membres et de leurs territoires également
autonomes (Écosse, Catalogne, Pays basque, Flandres, etc.). La chose se
présente belle à ravir et on aimerait tous l’aimer et l’épouser. Mais ce n’est
pas parce que la chose est belle que le mariage est possible. Quelques touches (très
rapides) de pédagogie et de clarté tirées de l’histoire du fédéralisme moderne
devraient nous permettre de comprendre que ce fédéralisme à trois niveaux,
« tous très autonomes », est irréalisable.
Kelsen,
le grand juriste autrichien, parlait de la répartition des compétences comme étant
« le noyau politique » de l’idée fédéraliste. Le fédéralisme qu’on
connaît depuis l’essai fondateur aux États-Unis (1787) est un fédéralisme qui a
partagé le pouvoir public (les compétences) entre deux niveaux étatiques :
le fédéral et le fédéré. Aujourd’hui, les spécialistes sont d’accord pour
reconnaître comme étant un trait caractéristique du fédéralisme moderne une
tendance progressive à la centralisation des ressources et à l’uniformisation
juridique et politique. Plus nos vieux systèmes fédératifs évoluaient plus la
répartition des compétences tournait au profit du gouvernement fédéral et au
détriment, par conséquent, du niveau fédéré. En d’autres mots, plus la
puissance étatique du niveau fédéral augmentait, plus celle du niveau fédéré
s’affaiblissait. La tendance a pu atteindre une telle ampleur qu’on est
aujourd’hui à se demander si certains États fédéraux sont encore des systèmes
fédératifs ou à considérer certains systèmes décentralisés (Grande Bretagne ou
Espagne) comme de vrais systèmes fédératifs. C’est dire.
Voilà
ce qui s’est passé dans notre histoire, grosso
modo, avec deux parties autour de la table des compétences à repartir dans
un système fédératif : perte d’auto-gouvernement de l’échelon fédéré ;
éloignement progressif, au profit d’un centre politique, d’un certain nombre de
compétences et de responsabilités autrefois ancrées au plus près des citoyens ;
les unités fédérées soumises dès lors de plus en plus souvent aux intérêts de
la majorité fédérale ; une subsidiarité qui fonctionne le plus souvent « à
l’envers » ; substitution d’une logique de la « coordination »
par une logique de la « subordination » ; remise en cause et
appauvrissement, de plus en plus dès lors, de l’idéal de l’unité dans la
diversité ; etc.
Ajoutons
maintenant un troisième convive à notre table, et précisions qu’il n’est pas là
pour regarder manger les deux autres. Il a faim aussi. C’est l’exemple de l’UE
(Europe, État-membre, territoire autonome). Peut-on sérieusement penser que, la
chose à répartir étant la même (la compétence), on pourrait avoir à la fois, un
gouvernement fédéral européen fort, des États-membres forts et des territoires
autonomes forts dans les États-membres ? Si la compétence européenne
s’accroît, ce sera nécessairement au détriment de celle des États-membres, et à
plus forte raison des territoires autonomes des États-membres.
Dès
lors, la question se pose : pourquoi les fédéralistes européens se
sont-ils raidis à l’approche du référendum écossais ? Si l’on chérit l’auto-gouvernement, et si l’on chérit l’Europe des Peuples lancée par
quelques-uns de nos plus grands fédéralistes européens du siècle dernier (Guy
Héraud, Denis de Rougemont, Alexandre Marc), on aura du mal à comprendre cette
peur soudainement exprimée contre l’indépendantisme écossais et catalan. Et je
demanderais alors : quel auto-gouvernement réservons-nous demain aux Écossais et aux Catalans au sein de leurs États-membres respectifs dans une
Europe politique forte ? Voilà la réponse : ce sera une autonomie de
plus en plus affaiblie par les empiétements du gouvernement fédéral européen et
de chaque État-membre (qui voudra récupérer par en bas ce qu’il aura perdu par
en haut). A moins que ce ne soit, dans le cas de l’Écosse, une sortie de l’UE
imposée par la Grande Bretagne…
Les
promesses fédérales d’une Europe politique forte, avec des États fédérés forts
et des territoires autonomes forts ne pourront pas être tenues. C’est tout
simplement impossible. Dès lors, si l’UE avance vers l’intégration politique, l’intérêt
des populations qui, comme en Écosse ou en Catalogne, tiennent à leur auto-gouvernement, est de devenir un échelon ou niveau fédéré (et non sous-fédéré)
au sein de l’UE. Aux côtés, bien entendu, des autres unités fédérées que sont
aujourd’hui les États-membres. Et les fédéralistes européens doivent le
comprendre. Autrement, aux résistances que rencontre le projet politique
fédéral européen chez les États-membres, viendront s’ajouter celles des Écossais,
des Basques, des Catalans, des Corses, des Flamands, etc.
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